Conférence de l’OMC à Hong Kong

La 6ème conférence de l’OMC s’est terminée avec un goût de déjà vu : beaucoup de belles paroles en faveur du développement et de la solidarité avec les pays pauvres, mais les actes et les engagements, sans être insignifiants, restent loin du compte. Notre déception est aussi celle des organisations paysannes rassemblées dans la rue pour exprimer leur incompréhension et leur rejet de politiques de libéralisation qui menacent fortement l’agriculture qui les fait vivre. Nous dénonçons à cet égard les arrestations abusives de centaines de manifestants paysans asiatiques très majoritairement pacifiques.

Les mérites de la libéralisation des échanges ont été souvent martelés pendant toutes les négociations, tant par les pays développés que par de nombreux gouvernements des pays en développement. La nuance apportée par Pascal Lamy à l’ouverture de la conférence, reconnaissant que la libéralisation des échanges ne peut à elle seule apporter le développement, n’en était cependant pas une remise en cause en tant que telle, mais plus un appel à l’accompagner de mesures de soutien, d’aide, de crédits, pour permettre aux pays les plus fragiles de réparer les dégâts collatéraux dont souffriraient les populations pauvres, l’environnement…..

Nous considérons cependant comme positifs l’obtention des points suivants :

La suppression de toutes formes de soutien à l’exportation d’ici fin 2013 pour tous les pays. Cette mesure contribue en effet à la lutte contre le dumping, même si ce dernier peut se poursuivre sous d’autres formes. L’application de cette mesure dès 2006 pour le coton est une bonne nouvelle pour les producteurs africains. Ce marché reste cependant fortement perturbé par l’importance des primes internes directes aux producteurs des USA.

L’élargissement du dispositif ‘tout sauf les armes’ (suppression des quotas et des droits de douanes pour l’accès de tous les produits en provenance de PMA1, sauf les armes, à l’ensemble des pays développés et aux autres pays susceptibles de l’appliquer), même si cette mesure peut rester limitée à 97% des produits, et exclure ainsi des secteurs clefs. L’accès privilégié aux marchés du Nord constitue à la fois un potentiel économique et un risque de spécialisation de l’économie de certains pays vers quelques productions d’exportation, surtout lorsque s’y concentre l’essentiel de l’effort financier public. Aussi, un contrôle de la traçabilité des produits et des règles d’origines sera-t-il nécessaire pour éviter un détournement de ce système au profit de délocalisation du Nord.

La mention faite dans le texte final des Produits Spéciaux et de la Mesure de sauvegarde Spéciale ouvre des brèches à exploiter pour le droit à la protection des marchés agricoles. L’alliance nouvelle entre le G30 des pays agroexportateurs, et le G33 soucieux de la protection des marchés agricoles vitaux, a pesé dans cette reconnaissance, qui permet aux pays en voie de développement de limiter l’ouverture des frontières pour les produits vitaux pour « leur sécurité alimentaire, leur moyens d’existence et le développement rural ». Les négociations techniques d’application de cette mesure, et de la question de l’accès aux marchés en général (dans lesquels l’Union Européenne devra s’engager sur une baisse substantielle de ses droits de douane) qui doivent avoir lieu dans les prochains mois seront déterminantes pour l’avenir des paysans du Sud comme du Nord. Il est vital que cet outil de protection soit également reconnu dans le Cadre Intégré renforcé géré par la BM et le FMI, afin qu’ils n’imposent pas aux pays une ouverture des marchés pour les produits concernés.

Globalement, le CCFD et le CMR restent opposés à la construction d’un grand marché mondial dans lequel les prix les plus bas font loi : les prix dits ‘mondiaux’ calculés à partir des prix les plus bas en vigueur pour les 10% (en moyenne et selon les filières) des denrées agricoles échangées au niveau mondial ne doivent pas dicter le prix des 90% de denrées consommées à l’intérieur des pays ou régions de production. C’est pourquoi nous dénonçons :

l’obligation faite par l’OMC depuis sa création à tous les pays d’importer 5% de leur consommation alimentaire nationale.

Un discours qui continue à considérer la libéralisation comme la voie royale du développement malgré les échecs et les ravages qu’elle a déjà produit chez les paysans des Philippines, du Cameroun, du Mexique, ou même du Brésil par exemple. La confusion demeure entre développement et accès au marché.

L’absence d’évaluation des politiques libérales poussées depuis des années par l’OMC, la Banque mondiale et le FMI.

Des moyens de protection des marchés qui s’annoncent limités : une pression doit être menée dans ce domaine par les ONG durant les négociations à venir sur ces points techniques. Le droit à la protection de certaines filières du Nord par le biais des « produits sensibles » peut également partiellement protéger de l’agro-industrie mondiale des secteurs des agricultures familiales européennes.

Une négation du principe de souveraineté alimentaire, qui concerne aussi les pays du Nord : aucun pays n’a la vocation à nourrir les autres, et ce n’est pas le marché mais les politiques qui doivent décider de la place de l’agriculture, qu’il s’agisse de l’Europe ou des pays en développement. En Europe, le sacrifice d’une majorité d’agriculteurs au profit de l’agro-business ayant investi dans quelques pays émergents, en monnaie d’échange de l’ouverture du marché des services dans ces pays, n’est pas recevable.

Une concurrence mondiale entre agriculteurs au profit de l’agro-industrie, au détriment de l’agriculture familiale du monde entier. Ce que recherche l’ensemble des représentants du monde paysan ce sont des prix rémunérateurs et stabilisés, et le cycle en marche se poursuit dans un sens opposé, accentuant encore leur volatilité.

Les négociations à l’OMC ont visé depuis sa création à accroître les échanges commerciaux mondiaux par l’ouverture croissante des marchés, la réduction ou l’élimination des mesures de soutien à la production, en particulier agricole. Cette dérégulation prive les Etats de l’espace politique nécessaire pour la mise en oeuvre de leurs politiques nationales ou régionales de développement, tant en matière de développement agricole que pour poser les bases d’une diversification de leur économie.
Une fois de plus, les questions politiques restent et vont se traiter dans des cadres techniques (taux, quotas…). Il est urgent que les règles du commerce répondent à la nécessité de véritables régulations des questions agricoles et d’alimentation, en matière notamment de gestion de l’offre et de stabilisation des prix agricoles. La FIMARC, Fédération Internationale des Mouvements d’Adultes Ruraux Catholiques, un partenaire mondial du CCFD dont est membre le CMR, propose ainsi de transférer les aspects politiques de l’agriculture et de l’alimentation à une autre instance moins économique, en s’inspirant de ce qui s’est fait pour la culture, en partie transférée de l’OMC à l’UNESCO au nom de la diversité culturelle.