L’examen parlementaire en cours concernant notre politique migratoire s’oppose aux récentes paroles du Pape François à Marseille en septembre dernier.
A rebours de l’agitation politique souvent irraisonnée sur ce sujet, le souverain pontife nous invite à
cultiver la fraternité qui « féconde la bonté humaine » contre la culture de l’indifférence qui «
ensanglante la Méditerranée ». Une parole forte d’espérance dont toutes celles et ceux qui se
reconnaissent dans les valeurs de l’Evangile doivent se faire l’écho dans la Cité, tout particulièrement en cette Journée internationale des personnes migrantes et ce temps de l’Avent.
Déjouer les passions tristes
Le projet de loi sur l’asile et l’immigration qui sera discuté à partir d’aujourd’hui au sein d’une
commission mixte paritaire offre une vision étriquée de notre société, repliée sur elle-même, pétrifiée par la peur de l’autre, et prompt à le transformer en bouc-émissaire des maux multiples qui la frappent.
D’une telle approche, ne peuvent émerger que des mesures visant à limiter l’accueil ou à accroître les possibilités de réprimer, enfermer et expulser. C’est bien dans cet esprit que le débat politique a été orienté depuis plusieurs mois, uniquement guidé par de savants calculs électoralistes et flattant les peurs, attisant les amalgames.
A Marseille, le Pape François a évoqué cette vision soutenue par ce qu’il a appelé des « passions tristes », sentiments qui peuvent rendre malade notre société européenne et la rendre indifférente à l’autre.
Ce sentiment général de tristesse alimente un « cœur plat, froid, installé dans la vie tranquille, qui se
blinde dans l’indifférence et devient imperméable, qui s’endurcit, insensible à toute chose et à tout le monde, même au tragique rejet de la vie humaine qui est aujourd’hui refusée à nombre de personnes qui émigrent », a-t-il ainsi affirmé.
Contrer l’indifférence
Ce constat ne doit pas mener à la fermeture de nos esprits, ni à ce que le Pape a appelé le « fanatisme de l’indifférence ». Car il s’agit bien de cela.
Particulièrement depuis 2015, les drames sur les routes migratoires s’enchaînent, avec leurs lots de
cadavres, de disparus, de mauvais traitements, et parfois de tortures, infligées volontairement à nos
frontières. Les réactions politiques, répressives à l’égard des personnes exilées, dissuasives vis-à-vis de celles et ceux qui prônent la solidarité et la fraternité, entretiennent – lorsqu’elles ne nourrissent pas -les conditions pour que cette tragédie humaine ne s’arrête pas, tout en affirmant poursuivre l’objectif inverse.
Cette perte totale de repères et ce sentiment que le politique n’a aucune prise sur cet état de fait
migratoire mènent à une déshumanisation des personnes exilées, favorisant peu à peu une
indifférence et finalement un désengagement.
« Ne nous habituons pas à considérer les naufrages comme des faits divers et les morts en mer comme des numéros : non, ce sont des noms et des prénoms, ce sont des visages et des histoires, ce sont des vies brisées et des rêves anéantis », a ainsi rappelé le Pape François, avant d’inviter à un moment de silence face au Monument aux Héros et Victimes de la mer à Marseille.
Les noms de ces victimes sont aujourd’hui écrits sur de longues banderoles ou scandés à l’occasion de rassemblements de commémoration, à Calais ou à Briançon, ou encore à Kalamata en Grèce, Zarzis en Tunisie ou Nador au Maroc. Tous ces actes, tous ces discours sont autant de luttes contre l’inaction et l’oubli face à ces milliers de vies sacrifiées.
Retrouver le goût de la fraternité
Aujourd’hui, ces drames ne sont pourtant pas le centre du débat national et européen sur l’asile et
l’immigration. Ce silence face aux morts de la migration et les manières de préserver la vie
questionnent les motivations profondes de nos gouvernements quant à notre politique migratoire.
A quels problèmes réels et objectifs est confrontée notre société en la matière ? Où se situent les
échecs aujourd’hui ? Dans le droit de chacune et chacun à se déplacer, ou dans les politiques mises en place depuis des décennies ? A quelles valeurs souhaitons-nous faire appel pour guider nos actions ?
Nos responsables politiques doivent changer de boussole. « Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons » a ainsi suggéré le Pape François.
Cette approche n’est pas inatteignable ou utopique. Elle est au contraire profondément concrète et se joue dans chaque acte posé, chaque parole prononcée. Chaque décideur, chaque citoyen, peut, à sa place, prendre sa part et se l’approprier en se posant ces questions : quel avenir suis-je appelé à
construire ? Un monde confortable et certain régit par l’indifférence ? Ou un projet de société exigeant et à construire, plaçant en son centre le respect de toute vie humaine, le pari que de la rencontre de l’autre naissent passions et enthousiasmes ?
L’humanité et la fraternité gagneront à être au cœur de toutes nos réflexions et politiques sur le fait
migratoire.
Liste des signataires :
CCFD-Terre Solidaire Sylvie Bukhari-de Pontual (présidente)
Action catholique des femmes Véronique Genelle (vice-présidente)
Action catholique des milieux indépendants (ACI) Marc Deluzet (président)
Action catholique ouvrière (ACO) Karine Cornily et Lionel Lecerf (co-président·es)
Chrétiens dans le monde rural (CMR) Jean-Luc Bausson et Margot Chevalier (co-président·es)
Chrétiens dans l’enseignement public (CdEP) Philippe Leroux (président)
Communauté de vie chrétienne CVX Jean-Louis Girard et Catherine Colin de Verdière (délégué·es)
Délégation catholique pour la coopération (DCC) Arnoult Boissau (président)
Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) L’équipe nationale
JRS France Véronique Albanel (présidente)
Mouvement chrétien des retraités Daniel Godard (secrétaire général)
Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) Manon Rousselot-Pailley (présidente)
Pax Christi France Alfonso Zardi (délégué général)
Secours Catholique-Caritas France Véronique Devise (présidente)