Le vendredi 29 novembre avait lieu à Paris la 8e journée annuelle du réseau Agriculture et Alimentation. Cette année le thème était « Les femmes, une chance pour l’agriculture ! »
Après avoir pris un temps pour reprendre tous les clichés entendus ici ou là sur les femmes chefs d’entreprise agricole, plusieurs experts et témoins se sont succédé tout au long de la journée :
Repères historiques et culturels
Élisabeth Saint-Guily (enseignante en lycée agricole, diplômée de l’Institut supérieur d’agronomie de Lille) nous a parlé de son expérience et le regard porté sur le travail des femmes en agriculture chez nous et en Afrique. « Les femmes ont pris en charge la ferme pendant les guerres, puis elles ont disparu des champs lors de l’apparition du tracteur pour enfin réapparaître lors de la diversification actuelle avec les ventes à la ferme ou sur le marché. Dans certains pays africains, ce sont les femmes qui s’occupent des semences et le travail de la terre est fait uniquement par elles, toutes ensemble, les maris travaillant à l’extérieur. D’ailleurs elles vivent entre elles et mangent entre elles. C’est assez difficile de comprendre cela pour un occidental ! »
Les femmes, premier rempart à la crise
Puis Véronique Louazel nous a parlé du travail de » Solidarité Paysan », des difficultés de certains agriculteurs et comment les femmes interviennent dans la demande d’aide auprès de l’association.
Souvent ce sont elles qui appellent, étant plus à la comptabilité, les relances de factures et les appels de la banque, ce sont elles qui les reçoivent. Si on voit plus de suicide chez les hommes, les femmes sont plus sujettes à des dépressions. Mais quand elles ont fait appel à l’association elles accordent plus facilement leur confiance et dévoilent rapidement la totalité des soucis contrairement aux hommes qui restent plus longtemps dans le déni et qui parlent d’un problème à la fois au lieu de révéler la situation complète. Pour les hommes seuls la demande arrive souvent tard, car Solidarité Paysan intervient que lorsque la personne le demande et qu’elle est prête à changer certaines choses dans sa façon de faire. Parfois il y a un élément qui permettait de s’en sortir qui entraine la désorganisation, le stress et un effet boule de neige : une mère qui faisait la traite qui tombe malade, une séparation, un accident… C’est en écoutant la parole du couple pour ce qui concerne l’exploitation, en apportant notre regard extérieur, qu’on peut voir avec eux les issues possibles. Lorsqu’une prise de décision se fait, ça marque une étape et c’est souvent la fin de prise en charge de Solidarité Paysans.
Vous pouvez consulter le rapport en ligne :
www.solidaritepaysans.org/des-agriculteurs-sous-pression-une-profession-en-souffrance
Les femmes doivent prouver leur légitimité
Alexis Annes et Chloé Lebrun, sociologues et chercheurs, nous ont parlé des études faites auprès de femmes impliquées dans la diversification agricole et les circuits courts. 1/4 des chefs d’exploitation sont des femmes. Parfois elles ne sont pas issues de familles d’agriculteurs. Le foncier et les prêts leur sont plus difficilement accordés, les cédants et les banques préférant un homme. Elles ont besoin de prouver leur légitimité. Elles apportent pourtant des nouvelles façons de penser la profession. Par exemple l’exploitation peut être un lieu d’éducation. Elles ressentent le besoin de groupe d’échange professionnel féminin.
Chloé a étudié la place des femmes dans la filière vin. Il n’y avait que des organisations où siégeaient des hommes et qui ne répondaient pas aux attentes des femmes. C’est pourquoi elles ont eu besoin de créer des collectifs de femmes qui sont des réseaux d’entr’aide, de parole libre des femmes, avec des journées techniques, des outils de communication pour une meilleure commercialisation de leurs vins. Les circuits courts ont donné aux femmes l’occasion de communiquer avec les consommateurs, elles ont pu expérimenter et laisser s’exprimer leur créativité. Le bilan est positif, c’est durable, ça apporte une certaine indépendance et une autonomie financière meilleure ; mais une autre forme de pénibilité est apparue : les trajets pour la commercialisation.
Regard croisé
En seconde partie de journée, nous avons eu l’intervention de Bénédicte Willemart (action catholique rural des femmes, Belgique) qui nous a permis de comparer les différences avec l’agriculture belge. Ce petit pays a une population qui vit à 60% hors urbain, mais seulement 25% en rural, le reste étant appelé rurbain car très proche d’une ville. 72% des fermières ont travaillé en moyenne 7 ans à l’extérieur avant de s’installer. Parmi les jeunes femmes 37.5% ont repris la ferme de leurs parents. Elles ont majoritairement des tâches féminines : bureau, traite, alimentation des veaux… Leurs attentes principales : une information cohérente et bien vulgarisée, une simplification administrative, des occasions de se retrouver et d’échanger, un système d’écoute et de médiation performant. Elles se regroupent pour défendre et valoriser leurs droits.
Puis des ateliers ont permis de sortir des chiffres et de rencontrer des femmes agricultrices ou retraitées. Pour ma part nous avons pu comparer le parcours d’une agricultrice et de sa fille qui a repris il y a 10 ans en association avec sa mère, au départ en retraite de son père, et avec son conjoint il y a 6 ans. » Les façons de faire ont changé et nous avons parfois peur pour eux quand elle soigne ses vaches en homéopathie. C’est elle qui négocie avec les acheteurs et certaines personnes disent à son mari : « Alors toi, tu fais quoi à la ferme ? »
L’égalité homme /femme à la ferme, ça n’est pas encore pour tout de suite !
Patricia Thierry